16 Juin 2009
O Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
O Dieu, qu’est-ce que l’homme ?...
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Rien que chair et sang.
Ses jours - l’ombre passant,
L’errance, qu’il ignore...
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Glaise sale et foulée,
Infestée d’immondice,
De tromperie, de vice,
Bouton de fleur fané,
Flétri sous le soleil !
Si tu lui rappelais
Ses fautes enfouies,
Ta colère et Ton ire
Les pourrait-il souffrir ?
Aussi grâce et pitié, car il n’est pas si fort...
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
***
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Baignant dedans sa boue,
Un menteur qui se loue,
De vanité un fou !
Le pur d’impur sort-il
Ou le précieux du vil ?
Si tu lui rappelais
Ses penchants si mauvais,
Il se dessécherait
Tel un brin d’herbe folle...
Aussi grâce et pitié à l’instant de sa mort !
***
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Incorrigible orgueil,
Buvant les eaux du deuil,
Mâchant un méchant pain,
Un océan sans frein,
Un four de chaleur brute !
Si tu lui rappelais
De son péché le rut,
Il serait terrassé,
Face au fort - harassé !
Aussi grâce et pitié, pardonne-lui encore...
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
***
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Rien que de la souillure,
Forfaiture farouche,
Calomnies à la bouche...
Si tu lui rappelais
Ses méfaits, son cloaque,
Il ne serait que loques,
Partirait en fumée...
Aussi grâce et pardon,
Pitié, absolution !
Mannequin de limon dont poussière est le corps...
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
***
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
Oui, un arbre mité,
Et lorsque vient la mort,
Un fétu éclaté !
Ses joies de pleurs il baigne
Quand il pourrit de teigne...
Si tu lui rappelais
De ses péchés la masse,
Il deviendrait limace,
De la cire fondue !
Aussi grâce et pitié, clémence pour ses torts !
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
***
Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?
La feuille au vent qui vole,
Un poids sur la balance
Pesant l'insignifiance,
Volière à mensonge
Comme en cage mésanges...
Pourrais-tu donc penser
À sévir contre lui,
Fumée qui s’évanouit,
Bois vermoulu, moisi ?
Gracie-les à ton aune, et non pas à la leur !
Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.
Poème liturgique de Salomon Ibn Gabirol (1020-1057),
Le plus grand poète hébreux andalou