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Fahtia Nasr Art Scrapbooking et Littérature....

Livre et extrait - l’Empire peul du Macina, ouvrage d’Amadou Hampâté Bâ et Jacques Daget

l-Empire-peul-du-Macina-ouvrage-d-Amadou-Hampate-Ba-et-Jacques-Daget-

 

Résumé :
Cet ouvrage retrace une expérience unique dans l'histoire de l'Islam et peut-être, le l'Afrique au XVIIIème siècle, Cheikou Amadou, un simple berger peul, entreprend, sur la foi d'un rêve prophétique, de regrouper l’Empire Peul du Macina en se calquant en tous points sur les règles qui régissent la première communauté musulmane, du temps du Prophète Muhammad, à Médine.
Il réussit à instaurer la paix et à la maintenir en réglementant grâce à une concentration avec les peuples concernés, les tracés et les dates de la transhumance des troupeaux.
Cet ouvrage est entièrement tiré de la tradition orale. Au cours de 15 années de recherches, A.H. Bâ a entendu au moins 1000 informateurs. Après un minutieux travail de recoupement, il a retenu les 80 témoignages les plus dignes de foi.
Le présent écrit est le fruit de ce travail.
 

 

Amadou-Hampate-Ba-
Amadou Hampâté Bâ

L'histoire suivante est tirée de l’Empire peul du Macina, ouvrage d’Amadou Hampâté Bâ et Jacques Daget. Cheikou Amadou est le fondateur de l’Etat théocratique du Macina et régna de 1818 à 1845.

Quatre siècles auparavant, l’Askia Mohammed, empereur du Songhaï, avait reçu la prédiction précise du triomphe de l’Islam dans cette contrée. Voici dans quelles conditions.

Lorsqu'en 1495 l'Askia Mohammed fit son célèbre pèlerinage à La Mekke, il rendit visite au vénérable Cheik Mohammed Abdoul Karim ainsi qu'au gouverneur de la ville sainte, le chérif Hassanide Moulay el Abbas. Ce dernier posa sur la tête du pèlerin un bonnet vert, l'enserra d'un turban blanc et, prenant tous les assistants à témoins, il déclara qu'il instituait l'Askia Mohammed khalife du Prophète pour tout le pays de Tekrour, et que quiconque ne lui obéirait pas dans ledit pays désobéirait à Dieu le Très-Haut et à son Envoyé.

— Je suis en outre heureux, ajouta-t-il en s'adressant au nouveau pontife, de te révéler que tu es le onzième khalife des douze orthodoxes prévus par le Prophète. 

L'Askia Mohammed, auréolé du titre d'El Hadj et intronisé à la dignité de khalife par la plus haute autorité de l'Islam, ne voulut pas regagner son pays d'origine sans avoir visité la capitale de Misra (Le Caire). Il désirait y poser quelques questions aux « grands turbans » de l'Université Al Ahzar et notamment au cheik Abdarrahaman Sayoutiyou, dont la réputation de science et de pitié l'avait fortement impressionné. En effet, même les personnages les plus illustres et les plus savants ne parlaient jamais du cheik ascète Abdarrahaman sans porter la main à leur front, à leur bouche et à leur poitrine, geste signifiant : « c'est notre chef, nous l'embrassons et le portons dans notre cœur ». Quant à l'Askia Mohammed, la renommée qu'il s'était acquise par son faste, ses largesses et ses pieuses intentions, l'avait déjà précédé au Caire ; il n'eut aucune peine à obtenir audience auprès du cheik Abdarrahaman Sayoutiyou. Entre autres questions, il lui demanda le nombre de khalifes orthodoxes prédits par le Prophète.

— Le Prophète, répondit le saint homme, a prédit qu'il y aurait douze khalifes orthodoxes après lui. 

L'Askia El Hadj Mohammed avait dans sa suite deux éminents marabouts, Alfa Salif Diawara et Alfa Mamadou Toulé. Ils avaient le don d'entrer en communication avec les esprits et cherchèrent à avoir confirmation des paroles du cheik Abdarrahaman Sayoutiyou. A la suite de pratiques sur le détail desquelles la tradition reste muette, ils se trouvèrent transportés de nuit dans un souterrain situé entre Le Caire et Alexandrie, au milieu d'une ville peuplée de génies musulmans. Ils manifestèrent à un passant le désir d'être présentés au chef de la cité. C'était un vieux et vénérable patriarche ; il enseignait le Coran et la Tradition du Prophète à une foule considérable d'auditeurs. Dès qu'il eut aperçu les visiteurs, il se leva en leur honneur. Tous les génies en furent surpris : pour que leur chef témoignât tant d'égard à deux créatures humaines dont les corps sont faits d'argile pétrie, il fallait que leurs âmes fussent de qualité supérieure.

— Soyez les bienvenus parmi nous, ô marabouts vénérables, heureux compagnons du onzième khalife du Prophète d'Allah. 

Les deux visiteurs venaient d'avoir confirmation de la haute dignité de l'Askia El Hadj Mohammed. Enhardis par le bon accueil qu'ils avaient reçu, ils demandèrent au chef des génies quel était son nom :

— Je me nomme Chamharouch Djinni. J'ai été instruit par le Prophète d'Allah lui-même. Votre chef l'Askia El Hadj Mohammed est le onzième khalife, comme vous l'a révélé Moulay el Abbas, grand chérif et gouverneur de La Mekke. En effet, continua Chamharouch Djinni, l'Envoyé d'Allah a dit : « après moi il y aura à la tête de l'Islam douze imams, c'est-à-dire douze khalifes, orthodoxes ; cinq seront de Médine, deux de l'Egypte, un de Sam, deux de l'Irak et deux du Tekrour ». Les dix premiers ont déjà régné, le onzième est votre chef l'Askia El Hadj Mohammed, le douzième naîtra onze ans avant la fin du XIIe siècle dans l'occident africain ; il brillera quand le XIIIe siècle aura trois fois onze ans et lui quatre fois onze ans1. Pour étayer mes déclarations et vous prouver que je lis aussi bien le passé, le présent et l'avenir, j'ajoute que votre chef réside habituellement à Kaw-Kaw, deux fois 26 2. La vertu de ce nombre se passe de tout commentaire ; il lui permettra de régner sur un vaste pays, mais il ne soumettra pas la région où naîtra le douzième khalife. 

Revenus auprès de l'Askia, les deux marabouts rapportèrent fidèlement les paroles de Chamharouch Djinni. El Hadj Askia Mohammed décida d'aller voir lui-même le chef des génies. Le cheik Abdarrahaman Sayoutiyou ménagea l'entrevue et le dialogue suivant s'engagea entre l'Askia El Hadj Mohammed et Chamharouch Djinni :

— Quelle sera la fin de l'empire du Tekrour ?

— Il périra dans le feu et le sang parce que son peuple se rebellera contre l'ordre établi.

— Dienné et Tombouctou seront-elles épargnées ?

— Ces deux cités survivront longtemps. Le douzième khalife proviendra des alentours de Dienné. Il rétablira l'ordre jusqu'à Tombouctou. Il pourfendra plus par sa langue que par son sabre. Il percera plus par son exemple que par sa lance. Il éclairera plus par sa science que par des candélabres d'or et d'argent. Il soumettra un pays exondé contre lequel tu lutteras en vain.

— A quoi cet homme devra-t-il son influence et pourquoi Allah le choisira-t-il pour en faire le douzième et dernier khalife de la lignée orthodoxe ?

— Il devra son influence au courage de ses partisans et à la droiture civique de ses conseillers. Allah le choisira parce qu'il l'aura doté de qualités de cœur et il esprit. Il dormira peu ; il adorera beaucoup. Il ne s'écartera jamais du Coran ni de la Tradition du Prophète. Le peuple éprouvera sa conviction ; il trouvera en lui un chef juste et plein de mansuétude pour ceux qui ne s'attaquent pas aux autres à cause de leur religion.

— Quel sera son nom ?

Chamharouch Djinni, après une pause, déclara :

— Je répondrai par un verset coranique : « Jésus, fils de Marie, dit : “O fils d'Israël ! je suis l'apôtre d'Allah [envoyé] vers vous, déclarant véridique ce qui, de la Thora, est antérieur à moi et annonçant un Apôtre qui viendra après moi, dont le nom sera Ahmad ”(LXI, 6) ».

— Il aura donc pour nom Ahmad ?

— Oui.

— Aura-t-il un génie chef de guerre ?

— Certes oui, avec la permission d'Allah nous lui affecterons l'un des nôtres, un puissant guerrier qui aura raison des génies rebelles, compagnons de Satan et inspirateurs dévoués des fétiches. Il les vaincra à chaque rencontre.

— Est-il possible de connaître le nom de ce génie ?

— Pas le nom même, mais sa valeur numérale et les lettres isolées qui entreront dans la composition de son nom. Ce nom sera composé par le prédestiné lui-même, le moment venu.

— Quelle est la valeur numérale et quelles sont les lettres ?

— La valeur numérale est égale à celle du mot « ayqacha » selon le compte occidental et les lettres sont les six que voici : sin, yây, râ, râ, alif, tâ3.

— Je m'incline devant lui, en dépit des siècles qui nous séparent. Un homme qui tire sa puissance de sources telles que celles que tu m'as révélées, fera certes briller la lumière divine et nul ne prévaudra contre lui.

L'Askia El Hadj Mohammed prit congé de Chamharouch Djinni. Puis il invita un de ses secrétaires, Ali Abdoullay, à rédiger pour lui une lettre destinée au douzième et dernier khalife orthodoxe à venir, Ahmad.

— Cette lettre parviendra-t-elle à son destinataire ? questionna le secrétaire.

— Cheik Mohammed Abd el Karim l'affirme, répondit l'Askia.


Notes
1. Cette prophétie fixait donc l'année 1189 de l'hégire pour la naissance du douzième khalife et l'année 1233 pour son avènement.
2. Kaw-Kaw, qui parait être le nom ancien de Gao, s'écrit en Arabe avec un kâ (20) et un wâw (6). Le nombre 26 est par ailleurs la valeur numérale du grand nom de Dieu révèle à Moïse pour être porté à la connaissance du peuple juif, Yahwahu, qui s'écrit en Arabe avec yây (10), ha (5), wâw (6) et hâ (5).
3. Ayqacha s'écrit en Arabe avec alif (1), yây (10), qâf (100) et chia (1000), sa valeur numéraire est donc 1111. Quant au génie en question, il est nommé dans les poèmes peuls Ali Soutoura, de suturare signifiant protection qui s'écrit en arabe avec sin (300, ta (400), râ (200), alif (1), râ (200) et hây (10).

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