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Fahtia Nasr Art Scrapbooking et Littérature....

Analyse du poème La Loreley de Guillaume Apollinaire - 1880-1918 - Alcools- 1913 - La Loreley

"La Loreley" à Jean sève

À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer 
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries 
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits 
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley 
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge 
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain 
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure 
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve 
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918), Alcools

Présentation de l’auteur : Guillaume Apollinaire, auteur du début du XXe siècle, bouleverse la vision traditionnelle de la poésie..Il préfigure, par l’originalité et la modernité de son oeuvre poétique, les grands bouleversements littéraires et poétiques qui naîtront ensuite comme le Surréalisme par exemple. Par la diversité de son inspiration, Alcools, recueil composé à la manière d’une toile cubiste (juxtaposant des
évocations et des sensations relevant de registres temporels et culturels différents), écrite en vers libres, sans aucune ponctuation, renouvelle en profondeur la poésie française.

Statue-de-la-nymphe-sur-le-quai-du-port-au-pied-du-rocher-
Statue de la nymphe sur le quai du port au pied du rocher

Présentation du myhte Lorreley : Lorelei est une jeune fille qui, assise sur le rocher du même nom, chante magnifiquement. Les marins passent en bateaux et l’entendent. Ils sont comme envoûtés par ce chant si beau, si mélodieux, qu’ils en oublient les courants du Rhin et chavirent.

 

À l’origine, la Lorelei a été conçue pour symboliser l’amour passionnel dans la littérature : dans une ballade (Zu Bacharach am Rheine…, 1801) du poète rhénan Clemens Brentano, la Lorelei apparut d’abord comme le nom d’une femme. Laure Lay a été trompée par son amant. Sur le chemin du cloître, elle veut jeter un dernier regard du rocher sur son château. Alors qu’elle pense voir un bateau s’éloigner, elle tombe dans le fleuve.

Brentano a écrit plusieurs variations du thème de la Lorelei. Le motif d’une femme blonde et malheureuse qui se peigne sur un rocher, apparaît pour la première fois dans son conte rhénan à partir de 1810.

Plus tard, elle passa d’un fantôme à une femme fatale. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, elle prit pour quelques poètes la fonction de symbole national, semblable aux Valkyries. La littérature du XXe siècle se détourna de cette interprétation. Elle apparaît sous de nombreuses formes dont certaines sont ironiques, et perpétue ainsi le mythe de la Lorelei.

En France, elle est surtout connue à travers le poème de Guillaume Apollinaire, La Loreley que l’on retrouve dans le recueil Alcools et qui est en fait une traduction/adaptation du poème de Brentano, ou encore dans Lorely de Gérard Labrunie dit Gérard de Nerval lors du récit de son voyage sur les bords du Rhin. Alors que pour d’autres, plus intéressés par la musique que par la littérature, Lorelei, la fée du Rhin, sera évoquée à travers de nombreuses chansons comme Lorelei Sebasto Cha de Hubert Félix Thiéfaine ou Laura Lorelei de Jacques Higelin.

Présentation du poème : Bacharach est une ville proche d’une falaise sur la rive droite du Rhin connue depuis l’Antiquité car l’écho s’y répète 7 fois. Loreley vient du moyen allemand lürelei (lüren : épier ; lei : rocher). Ce lieu est mélangé aux histoires fantastiques du Moyen-âge. Apollinaire reprend la légende de cette femme qui séduisait les bateliers et leurs bateaux allaient se briser sur les rochers.

Le poème, « La Loreley » daté de 1902, appartient à la section « Rhénanes » d’Alcools qui comporte des poèmes qu'Apollinaire écrivit pendant son séjour en Allemagne. Il fit alors la connaissance de la jeune Anglaise, Annie Playden, ce fut un amour malheureux. Dans ce poème, Apollinaire reprend une légende allemande, plus particulièrement rhénane : celle d’une femme dont les pouvoirs
maléfiques entraînaient les bateliers vers la mort. Des poètes allemands ont chanté cette légende : Clemens Brentano et Heine. C’est un thème qui renvoie à celui des sirènes et des ondines.
Lecture
Reprise de la question et annonce du plan : Nous verrons donc comment Apollinaire renouvelle la légende, tout d’abord en étudiant la manière dont il reprend des aspects traditionnels puis dont il fait de cette femme aux pouvoirs magiques une victime de l’amour dans un poème aux caractéristiques novatrices.
I – le récit d’une légende
a) un conte
Tout d’abord, le poème d’Apollinaire s’inscrit dans le genre du conte : la formule initiale « il y avait »
v.1 renvoie à ce type de récits.
Le déroulement de l’histoire est d’une grande simplicité ; les deux premiers distiques mettent en scène les personnages et l’action : un évêque va juger une très belle jeune femme pour sorcellerie. S’ensuit le récit du procès puis celui de la mort de l’héroïne.
Les personnages, les lieux et les éléments magiques sont caractéristiques des contes : « une sorcière » v.1, « trois chevalier » v.21 (on peut ajouter que le chiffre trois est récurrent dans les contes : Les Trois Souhaits de Charles Perrault, Boucle d’or et les trois ours, les trois essais de la reine pour faire mourir Blanche-Neige, etc…), un « beau château » v. 28 et le pouvoir surnaturel et maléfique de la jeune femme dont le regard « laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde » v. 2.
b) la réécriture de la légende …
D’autre part, le poème « La Loreley » est fortement inspiré d’une légende inventée par le poète allemand Brentano en 1801, reprise par Heine en 1816, formes littéraires d’une légende sans doute plus ancienne : une magicienne, à un escarpement du Rhin, attire les bateliers par son chant et les fait se précipiter contre un rocher qui surplombe le Rhin.
Apollinaire reprend en grande partie les composantes du poème de Brentano :
- le lieu : « Bacharach » v.1 est une petite ville à proximité du rocher de la Loreley. Le nom aux consonances germaniques nous plonge dès le premier vers dans l’atmosphère germanique.
- le personnage : la magicienne du poème d’Apollinaire ressemble à celle de Brentano : comme elle, elle subit
son pouvoir « Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits » v. 7 et souffre de l’abandon de son amant « Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là » v. 19. Comme elle, elle mourra en se jetant dans le fleuve « Elle se penche alors et tombe dans le Rhin » v.36.
- le procès : il existe déjà dans le poème de Brentano ; l’évêque, dans les deux textes, subit le pouvoir de la jeune femme et ne peut la condamner à mort : « Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley / Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé » v. 11-12.
Cependant, alors que la fin du poème de Brentano évoque le sort des chevaliers et la légende, Apollinaire achève son poème sur la Loreley se fondant dans le cosmos: « Ses yeux couleur de Rhin ses cheveux de soleil » v. 38.
c) …. dont Apollinaire fait un texte musical
Ce conte, cette légende, Apollinaire va ne faire un poème tout à fait caractéristique de son style.
Supprimant la ponctuation, utilisant des distiques à rime suivies où alternent régulièrement les rimes féminines et masculines, il donne à ce poème un rythme régulier, une facilité apparente comparable à celle d’une chanson. Ainsi les nombreuses reprises fonctionnent comme des refrains :
- reprise de propositions : « Faites-moi donc mourir » aux vers 14 et 16 ; « Mon cœur me fait si mal » aux vers 17, 19 et 20.
- répétitions en fin de vers : « que je meure » aux vers 17 et 18
- répétitions en début de chaque hémistiche : au vers 23 « Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants »
- répétition du même mot : « flammes » aux vers 9, 10 et 11 ; « Jetez jetez » au vers 10 ; « Loreley Loreley » au vers 32
L’oralité du conte se retrouve dans le traitement particulier des rimes et des alexandrins : en effet les rimes sont souvent des rimes pour l’oreille et non pour l’oeil. Ainsi Apollinaire fait-il rimer des singuliers avec
des pluriel : « péri » v. 7 / « maudits » v. 8 ; « pierreries » v. 5/ « sorcellerie » V. 6 ; parfois, ce ne sont pas de véritables rimes mais des assonances : « quatre » v. 25 / « astres » v. 26 ; « Loreley » v. 37 / « soleil » v.
38.Quant à l’alexandrin, s’il est dominant dans le poème, il l’est parfois aux prix d’apocope : « À Bacharach il y avait un’ sorcièr’ blonde » v.1 ou « Devant son tribunal l’évêqu’ la fit citer » v. 3. Parfois, illustrant le sens du poème, la longueur du mètre varie : ainsi le vers 20 « Mon coeur me fit si mal du jour où il s’en alla » comporte 13 syllabes, brisant la régularité du poème comme le coeur de la jeune femme est brisé. Le vers 26 « La Loreley
les implorait et ses yeux brillaient comme des astres » comporte 16 syllabes et suggère le grandissement surnaturel du personnage, tandis que le retour à l’alexandrin régulier dans les cinq derniers distiques souligne une harmonie retrouvée..
Enfin, l’absence de ponctuation mêle récit et dialogues sans ruptures :
« L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu’au couvent cette femme en démence »
Ainsi Apollinaire , tout en gardant les éléments de la légende, crée un poème d’une apparente simplicité
à l’oralité et la musicalité marquées. De la même manière, il renouvelle les caractéristiques de la créature
légendaire .
II – Une femme légendaire et mythique
a – la beauté
La Loreley est caractérisée par sa beauté ; aux vers 5 et 11 revient la même expression : « Ô belle Loreley » reprise dans le dernier distique par « la belle Loreley ». Plus précisément, ce sont sa chevelure et ses yeux qui la rendent fascinante. Les expressions évoquant sa chevelure sont nombreuse et en souligne la blondeur : « une sorcière blonde » v. 1, « ses cheveux de soleil » v. 38, c’est-à-dire aux premier et au dernier
vers du poème, ce qui en souligne l’importance. Le prénom de la jeune femme « Loreley », « Lore » par ses sonorités renvoie au métal, et donc à l’éclat de cette chevelure. D’autre part, si la chevelure est associée au soleil dans le dernier vers, le vers 31 « Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés » confirme l’affinité de la Loreley avec les éléments, l’air et le feu.
Le regard est encore plus important. Les expressions qui décrivent les yeux de la Loreley sont révélatrices : « pleins de pierreries » v. 1 où l’allitération en « p » souligne l’aspect inattendu car surnaturel du regard ; « Mes yeux ce sont des flammes » v. 9 où l’emploi du présentatif permet de mettre en valeur les deux mots important « yeux » et « flammes ». L’éclat est donc leur caractéristique principale, mais c’est un éclat
étrange : tout à la fois brûlant comme le feu et froid comme les pierres.De ce regard naît la fascination « Je flambe pour ces flammes » avoue l’évêque qui, plus loin, emploiera cette expression étonnante « Lore aux yeux tremblants » v. 23, soulignant ainsi l’étrangeté du regard de la Loreley. Enfin la comparaison des vers 26 « ses yeux brillaient comme des astres » et 38 « Aux yeux couleur de Rhin » reprend une particularité du personnage déjà évoquée : son rapport avec la nature cosmique et l’eau.
Cependant si les yeux de la Loreley fascinent, c’est parce qu’ils sont dotés d’un pouvoir maléfique.
b – une femme maudite
Le pouvoir qu’exerce la Loreley est, d’une part, surnaturel comme l’indique la question de l’évêque au vers 6 « De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie » et d’autre part, porteur de mort comme le précise le vers 2 :
« Laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde » dont les allitérations en « m » suggèrent l’envoûtement. La Loreley le dit elle-même : « mes yeux sont maudits » et précise au vers suivant : « Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri ».Ce pouvoir, personne n’y échappe, même pas l’évêque qui tombe sous le charme de celle qu’il aurait dû condamné au bûcher : « tu m’as ensorcelé » v. 12.
Cependant la Loreley semble subir ce pouvoir et l’exercer contre sa volonté. Ainsi les vers 2 « laissait mourir d’amour » et 10 « Ceux qui m’ont regardée » soulignent sa passivité : elle-même n’agit pas, ce sont les regards qui entraînent la mort. Elle souhaite se débarrasser de cette puissance au prix même de sa vie. C’est ce qu’indique sa supplication à l’évêque : « Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie » v. 10. L’adjectif
démonstratif « cette » souligne l’horreur qu’elle éprouve pour son pouvoir de mort, les flammes du bûcher la purifieraient.
Ainsi contrairement à la plupart des contes, le pouvoir que détient la jeune femme entraîne son malheur.
c) une femme désespérée
La Loreley est aussi une femme désespérée car elle est mal-aimée. Ce thème est récurrent dans l’oeuvre d’Apollinaire. On peut d’ailleurs établir un parallèle entre la Loreley qui souffre car « (s)on ami est parti pour un pays lointain » v.15 et Guillaume Apollinaire qui pleure le départ d’Annie Pleyden en Angleterre.
La plainte amoureuse de la Loreley « Mon cœur me fait si mal » est reprise trois fois dans le poèmes,
aux vers 17, 19 et 20. Aux vers 19 et 20, elle est directement associée au départ de l’amant : « depuis qu’il n’est plus là », « du jour où il s’en alla ». On peut remarquer le hiatus du vers 20 « où il », illustrant la douleur de la jeune femme.
La mort est très présente dans ce poème : mort réelle ou symbolique. On peut penser que la condamnation de l’évêque correspond à une mort symbolique pour la Loreley : être lumineux, comment pourrait-elle vivre dans ce « couvent des vierges et des veuves » v. 30, où elle ne serait plus qu’ « une nonne vêtue de noir et blanc » v. 24 ? D’autre part le verbe mourir est répété cinq fois dans ce poème : « mourir d’amour » v. 1, « mourir » v. 14, 16 à l’hémistiche, « meure » v. 17 et 18, à la rime et « péri » figure à la rime au vers 8.
La mort est d’ailleurs le destin de la Loreley ; elle l’annonce en quelque sorte au vers 18 : « Si je me regardais il faudrait que j’en meure » puisque, comme Narcisse, c’est en se regardant dans le fleuve qu’elle meure : « Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley » après l’avoir décidé « pour me mirer une fois encore dans le fleuve ».
L’amour et la mort (Éros et Thanatos) sont intimement liés : la mort de la Loreley est causée par l’apparition réelle ou fantasmé de l’amant :
« Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle 
Mon coeur devient si doux c’est mon amant qui vient »
On peut souligner l’harmonie de ces vers : allitérations en « m », écho entre « mon amant s’y tient » / « mon amant qui vient ». La mort de la Loreley, cependant, la relie aux éléments naturels avec lesquels elle est en communion :
le soleil et le Rhin.
Conclusion
Guillaume Apollinaire renouvelle la légende inventée par le poète allemand Clémens Brentano par sa poésie inventive et novatrice où la musicalité opère un charme indéniable et par le traitement du personnage.
Si la Loreley reste, comme dans le poème de Brentano, une femme victime de son pouvoir, Apollinaire confère au personnage un aspect mythique : la Loreley devient un personnage cosmique, en fusion avec l’univers qui l’environne.
Le thème du regard renvoie ici à la magie, au surnaturel mais aussi au thème du mal-aimé, cher à Apollinaire.

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